La rupture avec Rome | Le Monde de Demain

La rupture avec Rome

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Martin Luther a-t-il conduit les réformateurs protestants à revenir vers « la foi qui a été transmise une fois pour toutes » ? Les réponses sont choquantes ! Vous devez comprendre les débuts du protestantisme actuel.

La vérité au sujet de la Réforme protestante
Troisième partie

Des millions de livres, de brochures et de tracts protestants affirment que « la Bible, toute la Bible et rien que la Bible constitue la religion des protestants ».

Dans les deux premières parties de cette série, nous avons vu dans la Bible et dans les écrits historiques qu’un changement remarquable eut lieu au sein du christianisme peu après la mort des apôtres originels. Des cérémonies, des traditions et des idées païennes ont été introduites dans la religion soi-disant chrétienne. Ensuite, nous avons vu qu’au Moyen Âge, la corruption et le matérialisme de l’Église catholique entraînèrent les prétendus chrétiens de cette époque vers des croyances superstitieuses et des cérémonies qui auraient choqué les apôtres Pierre et Paul !

Nous devons nous demander si le mouvement protestant a tenté de réformer l’Église de Dieu qui serait partie dans la mauvaise direction. Les réformateurs protestants ont-ils restauré « la foi qui a été transmise aux saints une fois pour toutes » ? Ce mouvement a-t-il été inspiré et guidé par le Saint-Esprit divin ? Les « fruits » de ce mouvement en apportent-ils la preuve ?

Voyons à présent les débuts de la Réforme sous l’impulsion de Martin Luther.

 

La révolte de Luther contre Rome

Comme nous l’avons vu, la Réforme est le résultat des plaintes suite aux abus de l’Église catholique. Ceux qui étaient supposément en charge de veiller au bien-être spirituel et matériel du peuple désiraient conserver le statu quo, car cela leur permettait de s’enrichir et de préserver leurs avantages politiques ou religieux.

Cependant, le peuple suppliait pour l’obtention d’un allègement financier – et à un certain degré de liberté politique – mais le joug de l’oppression religieuse pesait lourdement sur les populations européennes.

Il fallait qu’une personnalité remarquable tire la sonnette d’alarme, mais cela déclencherait inévitablement une explosion universelle qui couvait depuis longtemps. Cependant, aucun dirigeant ordinaire, quelles que soient ses idées et ses qualités personnelles, ne pouvait remplir ce rôle. Il fallait une personne qui pouvait s’identifier aux désirs tacites des princes locaux, de la classe moyenne et des paysans – quelqu’un qui pourrait s’identifier aux peines dont ils souffraient depuis longtemps, afin de devenir le symbole d’une impulsion universelle et révolutionnaire dans la vie religieuse, sociale et politique de cette époque.

Martin Luther possédait ces caractéristiques. L’identification totale de Luther avec la Réforme protestante et le caractère unique de sa personnalité en tant que point de ralliement sont attestés par les historiens. George Fisher écrivit ainsi : « Le héros de la Réforme fut sans aucun doute Martin Luther. Sans lui et sa puissante influence, d’autres mouvements réformateurs, même ceux qui avaient commencé à obtenir un peu d’indépendance comme celui de Zwingli, auraient peut-être échoué […] Sans la Réforme, Luther cesserait d’être Luther » (The Reformation, George Fisher, page 87).

Il est important de comprendre l’enfance et la jeunesse de Luther pour mieux appréhender ses croyances et ses doctrines ultérieures.

 

Les premières années de Luther

Issu d’une famille de paysans, Martin Luther est né en 1483 à Eisleben, en Allemagne. La famille déménagea à Mansfeld six mois après la naissance de Luther, où il fut éduqué dans une atmosphère vertueuse d’austérité et de discipline.

La biographie écrite par Bainton nous décrit la première maison de Luther et ses premières années d’école : « Luther aurait dit : “Ma mère me frappa si fort pour avoir volé une noisette que le sang en coula. Une telle discipline m’a conduit vers le monastère, bien qu’elle croyait bien faire.” Cette déclaration est renforcée par deux autres : “Un jour mon père m’a tellement fouetté que je me suis enfui. Je le détestai jusqu’à ce qu’il s’efforça à revenir vers moi.” [À l’école], “je fus frappé quinze fois un matin pour une broutille. Je devais décliner et conjuguer [un verbe] mais je n’avais pas appris ma leçon » (Here I Stand, Roland Bainton, pages 7-8).

Même dans ces premiers instants, nous pouvons voir une série d’incidents qui conduisirent finalement Luther à échapper à l’autorité et à tout besoin d’obéissance. Il est nécessaire de comprendre les peurs et les superstitions médiévales de son enfance pour bien saisir l’insistance qu’il mit, des années plus tard, sur l’importance de la foi seule.

Il régnait chez les Luther une atmosphère de paysannerie bourrue. Mais il existait aussi un fort sentiment religieux dans cette famille. Son père, Hans, priait au pied du lit de son fils, tandis que sa mère était connue comme une personne pieuse dans la communauté.

Toutefois, la croyance des paysans était un mélange d’éléments issus de l’ancien paganisme germain et de mythologie « chrétienne ». Les gens pensaient que les forêts étaient peuplées d’elfes, de gnomes, de fées, d’autres esprits et de sorcières. La mère de Luther les pensait même capables de voler des œufs, du lait et du beurre. Luther lui-même conserva beaucoup de ces croyances jusqu’à sa mort. Il déclara un jour : « Dans mon pays natal, au sommet d’une grande montagne appelée le Pubelsberg, se trouve un lac. Si on y jette une pierre, une tempête se déclenchera sur toute la région car ces eaux sont la demeure de démons captifs » (Bainton, page 19). Ses premières années de vie religieuse catholique étaient constituées d’images de clochers, de flèches d’église, de cloîtres, de prêtres, de moines appartenant à différents ordres, de collections de reliques, du son des cloches, de la proclamation d’indulgences, de processions religieuses et de supposées guérisons dans les sanctuaires. En tout cela, il reçut une éducation religieuse normale pour son époque.

À l’âge de 15 ans, Luther fut envoyé dans une école à Eisenach, où sa mère avait de la famille. Comme de nombreux autres étudiants pauvres, il devait chanter dans les rues afin de mendier du pain. En 1501, Luther fut envoyé à l’université d’Erfurt, après s’être mis d’accord avec son père pour étudier le droit. Au cours de sa vie estudiantine, Luther fut affecté par de nombreuses crises spirituelles qui finirent par changer le cours de sa vie.

 

La révolte spirituelle de Luther

Avant d’aborder les événements spécifiques ayant conduit Luther à se détourner de la vie ordinaire à laquelle son père le destinait, il est utile de noter les effets de la formation religieuse de cette époque sur les jeunes en général et sur Luther en particulier. « Il n’y a qu’un seul domaine dans lequel Luther semblait être différent des autres jeunes à cette époque. Il était extraordinairement sensible et sujet à des périodes régulières d’exaltation ou de dépression. Ces changements d’attitude lui causèrent des problèmes tout au long de sa vie. Il témoigna que cela commença dans sa jeunesse et que la dépression fut très forte pendant les six mois qui précédèrent son entrée dans les ordres monastiques » (Bainton, page 20).

Nous voyons que Luther avait un esprit très torturé. Ce problème d’humeur versatile – aggravé par le sentiment perpétuel de culpabilité généré par les doctrines catholiques – a fait que Luther chercha une sorte d’exutoire émotionnel pour ses conflits internes.

« L’explication se trouve dans les tensions que la religion médiévale induisait délibérément, en jouant alternativement sur la peur et l’espoir. L’enfer n’avait pas été mis en place parce que les hommes vivaient dans une peur perpétuelle, mais au contraire parce que ce n’était pas le cas et qu’il fallait leur faire suffisamment peur pour qu’ils aillent demander les sacrements de l’Église. Pour ceux qui étaient pétrifiés de terreur, le purgatoire fut introduit afin d’atténuer les choses, en étant un lieu intermédiaire pour ceux qui n’étaient pas assez méchants pour aller en enfer mais pas assez bons pour monter au ciel sans une expiation supplémentaire. Et si cet allègement apportait du bien-être, alors la température du purgatoire était remontée de quelques degrés et cette pression pouvait à son tour être soulagée au travers des indulgences » (Bainton, page 21).

Nous voyons que la sensibilité de Luther était facilement manipulable par les peurs religieuses qui lui avaient été inculquées pendant son enfance. Ces peurs faisaient intégralement partie du système que Luther finira par détester.

Le premier événement d’une longue série qui conduisit graduellement Luther à son rôle de réformateur fut peut-être une découverte qu’il fit à l’âge de 20 ans, ayant déjà obtenu son diplôme de bachelier. En cherchant un livre dans la bibliothèque d’Erfurt, il tomba un jour sur une copie de la Bible en latin. C’était la première fois qu’il tenait une Bible dans les mains. Il fut surpris par la richesse de son contenu et il l’étudia avidement (Fisher, page 88). Bien qu’il fût absorbé depuis plusieurs années dans l’étude des sciences humaines, la lecture régulière des Écritures le replongea dans les profondes angoisses religieuses qui l’affectaient depuis l’enfance et elles commencèrent à occuper ses pensées.

 

Luther touché par la foudre

Quelque temps plus tard, en rentrant à Erfurt après avoir visité ses parents, il fut pris dans une tempête et un éclair frappa Luther et son compagnon. Luther se releva rapidement, mais il fut très ébranlé en découvrant que son ami, Alexis, avait été tué. À partir de cet instant, il décida d’être en paix avec Dieu et il entra dans le couvent augustin d’Erfurt pour devenir prêtre.

En 1507, il fut ordonné dans le clergé, mais ses études et son travail spirituel ne lui apportaient pas la paix intérieure qu’il cherchait désespérément. Staupitz, le vicaire général de l’ordre l’encouragea à étudier certains passages des Écritures et des pères de l’Église. Cette étude l’aida un peu, mais elle ne calma pas les inquiétudes et les tourments internes de Luther.

À cette époque, la remarquable apparence de Luther frappa beaucoup de gens. Un de ses contemporains dit de lui en 1518 : « Je pouvais difficilement regarder cet homme face à face, comme si un feu diabolique jaillissait de ses yeux » (The Period of the Reformation, Ludwig Hausser, page 8).

 

Luther se sent incapable d’obéir à Dieu

Ressentant une forte impression d’imperfection et de péché, il commença à effectuer toutes les bonnes œuvres qui étaient prescrites afin de sauver son âme. À cette époque, l’Église catholique faisait beaucoup de recommandations à ce sujet. « Il jeûnait, parfois trois jours d’affilée sans manger une miette. Les périodes de jeûne le consolaient davantage que les périodes de fêtes. Le carême était plus réconfortant que les Pâques. Il faisait preuve d’un excès de vigilance et de prière par rapport à ce qui était prescrit. Il n’utilisait pas les couvertures pourtant autorisées et il était à la limite de mourir de froid. Parfois, il était fier de sa sainteté et il disait : “Je n’ai rien fait de mal aujourd’hui.” Puis les craintes apparaissaient. “Ai-je jeûné assez ? Suis-je suffisamment pauvre ?” Il se dévêtait alors en ne cachant que ce que la décence impose. Plus tard dans sa vie, il pensa que cette austérité avait causé des dégâts permanents à son système digestif » (Bainton, page 34).

Tout ce que Luther savait du Christ à cette époque est qu’Il était un « juge sévère » duquel il voulait s’éloigner le plus loin possible. Se sentant sous une condamnation, Luther continuait à affliger son corps et son esprit avec des rites religieux pratiqués par les ordres religieux de son époque. « Si un frère atteint le ciel par sa vie monacale, disait-il, j’aurais également trouvé ma voie dans cette direction ; tous mes camarades de couvent peuvent en témoigner » (A History of the Reformation, Thomas Lindsay, page 427).

Notez que toutes ces choses indiquent le fort attachement de Luther à l’Église catholique. Il faisait partie de cette dénomination, il y avait grandi et il s’attachait à ses doctrines. Comme cela se produit souvent dans de telles circonstances, lorsqu’une rupture se produit, elle intervient avec grand fracas.

« Le problème était qu’il ne pouvait pas satisfaire Dieu. Plus tard dans sa vie, en parlant du sermon sur la montagne, Luther chercha des mots pour exprimer sa désillusion. Il déclara en parlant des préceptes de Jésus : “Cette parole est trop élevée et trop difficile pour que quiconque puisse l’accomplir. Cela est prouvé, non seulement par les paroles de notre Seigneur, mais par notre propre expérience et nos sentiments. Prenez n’importe quel individu honnête, homme ou femme. Il se comportera gentiment avec ceux qui ne le provoquent pas, mais laissez quelqu’un proférer ne serait-ce qu’une petite irritation et il explosera de colère […] peut-être pas contre ses amis, mais contre ses ennemis. Le sang et la chair ne peuvent pas surmonter cela.” » (Bainton, page 34).

En décidant en son âme et conscience qu’il était impossible pour les hommes d’accomplir ce que Dieu demande, Luther continua de chercher une réponse à son complexe de culpabilité. Après avoir été nommé professeur à l’université de Wittenberg, qui travaillait avec son couvent augustin, il commença enseigner les épîtres de Paul.

Il avait à peine commencé l’épître aux Romains que ses yeux se posèrent sur ce passage : « Le juste vivra par la foi » (Romains 1 :17). Ces paroles eurent un grand impact sur Luther et il médita longuement sur leur signification.

 

Sa désillusion de la papauté

Lorsque Luther visita Rome à cette époque, il s’y rendit plein d’ardeur et de dévotion, en essayant de s’assurer les bénédictions spirituelles qui lui étaient offertes à la vue des nombreuses saintes reliques et en faisant pénitence dans les sanctuaires sacrés. Alors qu’il faisait pénitence en montant l’escalier de Pilate, les paroles obsédantes des Écritures lui revinrent encore à l’esprit – « le juste vivra par la foi ».

Au cours de son séjour à Rome, la désillusion de Luther commença à croître concernant le caractère de l’Église catholique. Il commença à voir l’existence d’un système corrompu et abominable. Pendant les messes qu’il dirigea à Rome, il essayait de maintenir la dignité et la révérence qu’il estimait nécessaires pour cette charge. Mais il fut très troublé par la frivolité et l’attitude irrévérencieuse des prêtres romains lorsqu’ils célébraient les sacrements de l’autel.

Merle d’Aubigné rapporte :

« Un jour qu’il officiait, il se trouva qu’à l’autel voisin on avait déjà lu sept messes avant qu’il en eût lu une seule. “Marche, marche ! lui cria l’un des prêtres, renvoie vite à Notre-Dame son fils” ; faisant ainsi une allusion impie à la transsubstantiation du pain en corps et en sang de Jésus-Christ. Une autre fois Luther n’en était encore qu’à l’évangile que le prêtre qui était à côté de lui avait déjà fini sa messe. “Passa, passa ! lui cria celui-ci ; dépêche, dépêche ! aie donc une fois fini !

« Son étonnement fut plus grand encore quand il découvrit dans les dignitaires de la papauté ce qu’il avait trouvé dans les simples prêtres ; il avait mieux espéré d’eux » (Histoire de la Réformation, tome 1, librairie Meyrueis, pages 186-187).

De retour chez lui, il médita sur les scènes des pèlerins honnêtes à Rome qui cherchaient le salut à travers leurs efforts. Mais il frissonnait en repensant à la frivolité, à la misère morale et au manque de véritable connaissance spirituelle dans cette ville – la soi-disant « capitale de la chrétienté ». Les paroles de Paul lui revinrent une fois encore à l’esprit – « le juste vivra par la foi ». Il commença finalement à sentir qu’il pouvait les comprendre.

 

Le cœur de la théologie de Luther

Luther déclara que « la justice de Dieu est révélée par l’évangile, la justice passive, par laquelle Dieu miséricordieux nous justifie par la foi, comme il est écrit : Le juste vit de la foi. Alors je me suis tout-à-fait senti renaître et être entré portes ouvertes dans le paradis même » (Luther – Sa doctrine, Charles Boyer, Presses de l’Université grégorienne, pages 15-16). L’historien George Fisher écrivit à ce sujet que Luther « vit que le Christ n’était pas venu comme un législateur, mais comme un Sauveur ; que l’amour, pas la colère ou la justice, était le motif de sa mission et de son travail ; que le pardon des péchés en Lui était un don gratuit ; que la relation de l’âme avec Lui et, à travers Lui, avec le Père, ce qui s’exprime avec le terme foi, l’acte réactif de l’âme à la grâce divine. C’est tout cela qui est nécessaire. Cette méthode de réconciliation n’implique pas les œuvres de la loi » (Fisher, page 91).

Nous voyons désormais le cœur de toute la théologie de Luther. Cette doctrine de la justification devint la pierre angulaire de tous les efforts religieux ultérieurs de Luther. C’est la seule chose qui lui procurait un sentiment de libération de la culpabilité et de la peur de la damnation qui le hantaient. Nous pouvons ajouter que cela lui donna un moyen de contourner les obligations de la loi spirituelle de Dieu – dont Luther pensait qu’il ne pouvait pas les observer et qu’il finit par haïr.

Il est évident que dans tout ce raisonnement au sujet de la loi, Luther substituait l’idée catholique des « œuvres » rituelles et des pénitences aux Dix Commandements de Dieu. Il était obsédé par l’idée de trouver un moyen de se libérer de l’obéissance et il commença à penser que la foi seule était suffisante pour être sauvé.

La conséquence logique de la nouvelle position de Luther était d’aller au conflit avec Rome. La première fois qu’il exprima son opposition directe avec la doctrine catholique, ce fut au sujet du système de la vente des indulgences.

 

La doctrine des indulgences

Après être rentré de Rome, Luther repris sa carrière d’enseignant à l’université de Wittenberg et il continua son étude des Écritures ainsi que le développement de sa théorie de la justification et du salut. Suite aux encouragements de son supérieur, Staupitz, il acheva son travail pour son doctorat afin de pouvoir remplacer Staupitz à la chaire d’enseignement biblique à l’université. En 1512, il obtint son titre de docteur en théologie et il continua sa carrière d’enseignant.

Pendant tout ce temps, ses idées sur la justification continuèrent à croître et à se développer. Il écrivit : « J’ai longtemps cherché à comprendre l’épître de Paul aux Romains et tout était limpide sauf l’expression “la justice de Dieu”, car je considérais que cela signifiait la justice par laquelle Dieu est juste et agit avec justice en punissant les injustes. Bien que je fusse un frère impeccable, ma situation était que je me tenais devant Dieu comme un pécheur troublé dans sa conscience et que je n’avais pas confiance que mon mérite le calmerait. Ce faisant, je n’aimais pas un Dieu juste et irrité, mais je le haïssais et murmurais contre lui. Je me cramponnais à ce cher Paul et j’avais un désir ardent de comprendre ce qu’il voulait dire » (Bainton, page 49).

Notez que Luther confessa haïr Dieu dans son rôle de Législateur et de Juge. En effet, son faux concept catholique de l’obéissance l’embrouilla concernant les véritables implications spirituelles qui étaient en jeu. Il était pour ainsi dire spirituellement ivre – en cherchant sa voie au fond d’un gouffre. Dans son tourment mental provoqué par les enseignements catholiques, il cherchait désespérément un moyen de contourner l’obéissance, la loi et la justice.

Il écrivit encore : « Jour et nuit, je méditais jusqu’à ce que je visse la connexion entre la justice de Dieu et la déclaration que “le juste vivra par sa foi”. Je compris que la justice de Dieu est la justice par laquelle la grâce et la véritable miséricorde de Dieu nous justifient par la foi. C’est pourquoi je me suis senti renaître et être entré portes ouvertes dans le paradis. L’ensemble des Écritures prit une nouvelle signification et là où la “justice de Dieu” me remplissait autrefois de haine, elle devenait maintenant extrêmement douce dans un grand amour. Ce passage de Paul devint pour moi une porte vers le ciel… » (Bainton, page 49).

Alors que Luther mettait de plus en plus l’accent sur la justification par la foi seule, la pratique catholique de vendre des indulgences pour les péchés lui devenait particulièrement détestable – c’est un abus qu’il voulait naturellement attaquer. Puisque le système des indulgences fut la cause immédiate de la rupture de Luther avec Rome, il serait très utile de voir le point de vue d’un expert à ce sujet et le vocabulaire employé pour les décrire.

 

Une description des indulgences

James Wharey décrivit en détail la pratique des indulgences :

« Dans l’Église romaine, les indulgences sont la rémission d’un châtiment provoqué par un péché, elles sont attribuées par l’Église et elles sont supposées épargner le purgatoire au pécheur. Selon la doctrine de l’Église romaine, toutes les bonnes œuvres des saints, en plus de celles qui étaient nécessaires pour leur propre justification, sont déposées avec les mérites infinis de Jésus-Christ dans un trésor intarissable. Les clés furent confiées à saint Pierre et à ses successeurs, les papes, qui peuvent l’ouvrir quand bon leur semble ; et en transférant une portion de ce mérite surabondant à une personne particulière contre une somme d’argent, il pourrait lui transmettre le pardon pour ses propres péchés, ou permettre de relâcher une personne désignée des douleurs du purgatoire.

« De telles indulgences furent inventées pour la première fois au onzième siècle, par Urbain II, en tant que récompense [donnée] à ceux qui participaient personnellement à la grande entreprise de la conquête de la Terre sainte. Plus tard, elles furent données à tous ceux qui employaient un soldat dans ce but ; et au fil du temps, elles furent attribuées à ceux qui donnaient de l’argent pour accomplir les œuvres pieuses ordonnées par le pape. La puissance des indulgences attribuées fit l’objet de grands abus dans l’Église de Rome. Afin d’achever la construction de la magnifique [basilique] Saint-Pierre à Rome, le pape Léon X publia des indulgences et une permission plénière à tous ceux qui apportaient une contribution financière. Une fois le projet fini, il accorda à Albert, électeur de Mayence et archevêque de Magdebourg, le bénéfice des indulgences de Saxe et des régions voisines, et il confia celles des autres pays aux meilleurs enchérisseurs qui, pour optimiser leur marché, confièrent à des prédicateurs habiles le soin de vanter les mérites de ce produit » (Sketches of Church History, pages 224-225).

Voici comment ces indulgences étaient rédigées :

« Que notre Seigneur Jésus-Christ ait pitié de toi, et t’absolve par les mérites de sa très-sainte passion ! Et moi, en vertu de la puissance apostolique qui m'a été confiée, je t'absous de toutes les censures ecclésiastiques, jugements et peines que tu as pu mériter ; de plus, de tous les excès, péchés et crimes que tu as pu commettre, quelque grands et énormes qu'ils puissent être et pour quelque cause que ce soit, fussent-ils même réservés à notre très-saint père le Pape et au siège apostolique. J'efface toutes les taches d'inhabilité et toutes les notes d'infamie que tu aurais pu t'attirer à cette occasion. Je te remets les peines que tu aurais dû endurer dans le purgatoire. Je te rends de nouveau participant des sacrements de l'Église. Je t'incorpore derechef dans la communion des saints, et je te rétablis dans l'innocence et la pureté dans laquelle tu as été à l'heure de ton baptême. En sorte qu'au moment de ta mort la porte par laquelle on entre dans le lieu des tourments et des peines te sera fermée, et qu'au contraire la porte qui conduit au paradis de la joie te sera ouverte. Et si tu ne devais pas bientôt mourir, cette grâce demeurera immuable pour le temps de ta fin dernière. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Merle d’Aubigné, page 244).

Dans son livre, Wharey mentionne que les descriptions éclatantes faites par les colporteurs d’indulgences étaient parfois invraisemblables. Ils disaient que si un homme achetait des lettres d’indulgences, son âme serait assurée d’accéder au salut : « Voici ! le ciel est ouvert ; si tu n’entres pas maintenant, quand y entreras-tu ? »

C’est le grand abus de cette pratique, déjà abominable en soi, qui conduisit Martin Luther à se dresser fermement contre Rome. Bien entendu, il avait raison de s’insurger à cette pratique et s’opposer comme il le fit demandait du courage. Mais la question à laquelle nous voulons répondre est de savoir si cela l’a conduit à revenir à « la foi qui a été transmise une fois pour toutes » ou simplement à rejeter cet aspect de l’enseignement catholique qu’il ne pouvait pas approuver – en lui substituant un autre système ecclésiastique, inspiré par des hommes, qui lui convenait davantage.

 

L’indulgence pour Saint-Pierre à Rome

Dans l’entourage de Luther, la proclamation de l’indulgence pour aider à reconstruire la basilique Saint-Pierre à Rome fut confiée à un vendeur expérimenté, le frère dominicain Johann Tetzel. L’indulgence ne fut pas proposée dans la paroisse de Luther car l’Église ne pouvait pas introduire une indulgence sans l’autorisation des autorités locales. À cette occasion, le prince électeur Frédéric III, dit Frédéric le Sage, n’avait pas donné son autorisation car il ne souhaitait pas que l’indulgence pour Saint-Pierre fasse de l’ombre aux indulgences pour l’église de la Toussaint de Wittenberg (Bainton, page 57).

Mais Tetzel fut tellement proche de Wittenberg que les paroissiens de Luther purent passer la frontière et revenir avec d’incroyables concessions suite à la campagne de vente agressive de Tetzel et de ses colporteurs.

Luther fut justement indigné de l’imposition éhontée du pape et son sang de réformateur ne fit qu’un tour. Il rédigea 95 thèses pour qu’elles soient débattues et, le 31 octobre 1517, il les cloua sur la porte de l’église du château de Wittenberg, comme c’était alors la coutume pour les affichages publics.

De nombreuses thèses de Luther mentionnaient la détresse financière des paysans allemands et appelaient indirectement la papauté à cesser de leur extorquer davantage d’argent. Luther affirmait qu’il faut « enseigner aux chrétiens que si le pape avait connaissance la propagande provocante des prédicateurs d’indulgences, il préférerait voir Saint-Pierre réduite en cendres plutôt que dédifier son église avec la chair et les os de ses ouailles » (“Luther”, Les collections de l’Histoire, hors-série n°75, page 43).

Dans les discussions enflammées qui suivirent, Luther déclara : « Les revenus de toute la chrétienté sont absorbés par cette basilique insatiable. Les Allemands rient à l’idée de l’appeler le trésor commun de la chrétienté. Bientôt, les églises, les palais, les murailles et les ponts de Rome seront tous construits avec notre argent. Nous devons avant tout élever des temples vivants, pas des églises locales et encore moins Saint-Pierre qui ne nous est pas nécessaire. Nous, Allemands, ne pouvons pas nous rendre à Saint-Pierre. Il vaudrait mieux qu’elle ne soit jamais construite afin que nos églises paroissiales ne soient pas dépouillées » (Bainton, page 61).

Le message politique de Luther à ses compatriotes allemands est évident dans tous les premiers écrits à ce sujet. Il ne conteste pas d’un point de vue spirituel ce qui est bon ou mauvais devant Dieu, mais plutôt d’un point de vue nationaliste le fait que l’argent des indulgences devrait être dépensé pour des causes religieuses allemandes.

L’attaque de Luther contre la politique financière de la papauté fit l’unanimité parmi les Allemands qui souffraient depuis longtemps du sentiment d’être lésés par la hiérarchie italienne – ainsi qu’ils la considéraient. L’autre point de Luther qui créa une controverse était que les indulgences sont spirituellement dommageables pour le bénéficiaire et que le pape ne possède pas une puissance absolue sur le purgatoire ou le pardon des péchés.

La plupart des Allemands auraient été en mesure de comprendre uniquement la demande de réduire la pression financière, mais seul le lien fait par Luther entre ce préjudice populaire et l’idée de blasphème contre la miséricorde de Dieu pouvait conduire à la formation d’une révolution populaire.

Luther n’essaya pas de diffuser ses thèses par le peuple. Mais d’autres les traduisirent en allemand et les firent imprimer. Elles devinrent rapidement un sujet de discussion dans toute l’Allemagne et la carrière de réformateur de Luther était lancée (Bainton, pages 62-63).

 

La rupture finale de Luther avec Rome

Lorsque Luther afficha ses thèses pour la première fois, il ne pensait pas les diffuser à grande échelle. Mais maintenant qu’elles étaient distribuées, il participa aux discussions qui en découlaient et il écrit des tracts pour les défendre. Les nouvelles de ces développements se propageaient lentement, mais les autorités de Rome apprirent rapidement la nouvelle qu’une grande partie de l’Allemagne se rangeait du côté de Luther.

À Rome, Luther fut accusé et le pape nomma le cardinal Cajetan pour le représenter dans les discussions avec Luther. Il lui fut demandé d’essayer de persuader Luther d’abandonner toute idée radicale – et de traiter cette affaire en faisant le moins de remous possibles (Hausser, pages 19-20). Mais les efforts de Cajetan n’y changèrent rien.

Une seconde tentative fut alors lancée pour conserver Luther sous la tutelle de Rome. Carl von Miltitz, un nonce papal, réussit à gagner la confiance de Luther et à conclure un accord avec lui afin qu’il garde le silence – à la condition que ses ennemis fassent de même – jusqu’à ce que des représentants du pape aient eu l’occasion d’étudier les nouvelles doctrines de Luther qui déclare : « Après cela, s’il apparaît que je me suis trompé, je me rétracterais volontairement afin de ne pas affaiblir la puissance et la gloire de la sainte Église romaine » (Hausser, page 22).

Nous voyons que Luther considérait toujours l’Église catholique comme étant « sainte » ! Il est important de comprendre combien Luther était imprégné de ses philosophies et de ses doctrines. Certes, il était en fort désaccord avec certains points, mais dans l’ensemble, Martin Luther – né et élevé dans l’Église catholique et prêtre catholique de profession – était littéralement imprégné des concepts, des dogmes et des traditions que cette Église avait accumulé au cours du Moyen Âge.

Le 3 mars 1519, Luther écrit au pape : « Désormais, très Saint-Père, je proteste devant Dieu et ses créatures que mon dessein n’a jamais été, et n’est pas maintenant, de chercher à affaiblir ou à renverser l’autorité de l’Église catholique ou votre Sainteté ; qui plus est, je confesse même que la puissance de cette Église est au-dessus de toutes choses ; que rien dans le ciel ou sur la terre ne doit venir avant elle, à l’exception de Jésus, notre Seigneur à tous » (Manual of Universal Church History, Johannes Alzog, page 195).

À moins qu’il mente dans cette lettre, Martin Luther – même à cette date tardive – pensait que la religion catholique romaine était la véritable Église de Dieu sur la Terre !

 

La méthodologie de Luther

Son accord avec Rome de ne pas s’exprimer fut de courte durée. Dr Johann Eck, un théologien de Leipzig, défia publiquement Luther de débattre sur ses nouvelles doctrines (Hausser, page 22). La guerre des mots et des pamphlets reprit de plus belle.

Dans les débats, Luther mélangeait comme il l’avait toujours fait justification et salut. Il maintenait que la foi seule – sans les œuvres – suffisait à être sauvé. Lorsqu’il fut confronté à un verset contradictoire dans l’épître de Jacques, il remit en question l’authenticité même de cette épître (Alzog, page 302).

Il est important de comprendre que Luther remit en cause, non pas une fois mais à de nombreuses reprises l’authenticité de tout livre de la Bible qui semblait être en désaccord avec ses idées sur la justification. Nous parlerons des déclarations de Luther contraires à la Bible plus tard dans cette série.

Après le débat de Leipzig, Dr Eck partit pour Rome afin d’avertir le pape Léon X du danger que Luther commençait à représenter pour l’Église catholique en Allemagne. Une bulle papale [lettre solennelle] fut publiée en 1520, condamnant Luther et 41 de ses propositions. Il fut également menacé d’excommunication s’il ne se rétractait pas dans les soixante jours (Alzog, page 300).

 

La réunion de puissants soutiens

Grâce à la popularité de Luther avec le peuple et la noblesse, la bulle papale fut ouvertement accueillie avec dédain en Allemagne. Beaucoup déclarèrent qu’il n’était pas nécessaire d’y obéir et le protecteur de Luther, Frédéric le Sage, désavoua ouvertement cette bulle. De son côté, Luther effectua un geste inédit en brûlant la bulle papale en présence des frères, étudiants et concitoyens fidèles de Wittenberg (Hausser, page 27).

Ce geste fort qui marquait une rupture totale avec Rome attira l’attention de toute l’Allemagne à la cause de Luther. Il trouva rapidement un soutien politique avec de bonnes dispositions à son égard de la part du prince électeur et des juristes qui se plaignaient depuis longtemps de l’interférence des cours ecclésiastiques dans les affaires civiles. Il trouva d’autres alliés parmi les universitaires humanistes qui étaient pleins de ferveur nationaliste et qui étaient prêts à venger les affronts subis par les Allemands sous la direction de la papauté italienne. Ils étaient prêts à rédiger des messages provocateurs et satiriques – ainsi qu’à utiliser leur épée (Fisher, page 102).

Peu après ces événements, Luther lança un appel politique à la noblesse allemande pour lui demander de le soutenir. Le défi lancé au « glorieux peuple teuton » qui était « né pour être des maîtres » eut un effet saisissant sur un grand nombre de nobles et de princes allemands. Mais il s’agissait uniquement d’une manœuvre politique, qui fut utilisée plus récemment avec succès par des généraux et des dictateurs allemands !

Luther lança cette exhortation : « Pauvres Allemands que nous sommes – nous avons été trompés ! Nous sommes nés pour être des maîtres et nous avons été contraints de baisser la tête sous le joug de nos tyrans et de devenir esclaves. Les noms, les titres et les signes extérieurs de royauté, nous possédons tout cela. La force, la puissance, le droit et la liberté, toutes ces choses sont passées sous l’autorité des papes qui nous les ont volées. Ils ont le fruit, nous avons la coquille vide […] Il est temps que le glorieux peuple teuton cesse d’être la marionnette du pontife romain » (Documents of the Christian Church, Henry Bettenson, page 278).

À partir de cet instant, il ne restait plus à Luther et à ses adhérents qu’à lancer un nouveau système religieux, qui embrasserait les doctrines provenant de la plume prolifique de Luther. Dans les prochains articles, nous verrons si le système mis en place par Luther était un retour à la foi, à la doctrine et aux pratiques du Christ et de l’Église apostolique originelle.


Partie 1 : La vérité au sujet de la Réforme protestante
Partie 2 : Préparer le terrain de la révolution
Partie 3 : La rupture avec Rome
Partie 4 : La Réforme prend de l’ampleur
Partie 5 : Le côté obscur de Luther
Partie 6 : La naissance du calvinisme
Partie 7 : L’Angleterre se rebelle contre Rome
Partie 8 : La violence choquante des réformateurs